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La grande petite ville dans un futur qui se passe présentement

J’attends, au bord de l’une des centaines de rames de métro qui serpentent notre ville, l’arrivée de mon transport qui me mènera à mon travail. Je suis un microbe dans une mer d’individus. Il y a en effet 200 millions d’habitants dans notre métropole et je me sens comme une partie insignifiante d’un tout grandiose. J’entends le train qui vient et je sens les vibrations qu’il crée, par son contact au sol, sa forme lombricoïdale s’arrêtera bientôt devant moi et m’emportera sur le lieu de mon travail. J’aperçois l’entrée de la bouche de propulsion géodynamique de ce monstre de la technologie qui fait quatre étages de haut. La première partie du train s’arrête dans l’aire d’embarquement, ses anneaux s’ouvrent et une marée composée de milliers de gens tel un essaim d’abeille en sort, tandis qu'un reflux de vague tout aussi populeuse adopte le chemin contraire.

Me voilà dans le wagon, le train continue sa course et s’arrête à nouveau, la deuxième partie se trouvant, à son tour, dans l’aire d’embarquement, le métro répétera cette manœuvre deux fois. C’est donc un petit train. Je ne dirais pas que j’aime mon travail, je dirais cependant qu’il me permet de combler mes besoins. Encore deux stations et je serai arrivé à destination, c'est-à-dire, dans les profondeurs des complexes souterrains des usines de traitement des résidus domestiques où je pourrai exécuter la fonction pour laquelle j’ai été entraîné. Être un préposé au recyclage des matières organiques, procédé qui existe depuis aussi longtemps que je me souvienne (certains disent même que son invention date de bien avant la création de la ville), est en effet un travail plutôt bien vu de nos jours. Déjà arrivé, les anneaux du métro s’ouvrent sur ma station et je sors en me heurtant à plusieurs individus que je ne reverrai jamais.

Je me rends donc au bureau de mon contremaître par un chemin que j’ai emprunté des centaines de fois, c’est là que l’on m’assigne le secteur dont je devrai m’occuper pour la semaine. Je poinçonne ma carte de repas pour la dixième fois ce mois-ci et ma carte de travail pour la première fois cette semaine, j’empoigne ma décomposeuse XR-238 mK II qui me servira toute la journée et je me dirige vers mon secteur de travail, celui des restants de bananes. La décomposeuse utilise un système très complexe pour opérer un phénomène de transsubstantiation des molécules organiques. Elle le fait de façon aérobique, ce qui a pour avantage de ne pas produire de méthane comme gaz résiduel, et ce, contrairement à nos anciens concurrents qui nous livraient une compétition très agressive. Heureusement, la guerre industrielle a pris fin lors du dernier brassage des ressources. À ce moment, les décomposeuses à fonctionnement anaérobique étaient devenues inutiles.

Tiens, mon ami Ibe est en processus de scissiparité, je croyais pourtant que la reproduction asexuée était interdite pendant le travail. Tiens, je sens la terre trembler…, elle tremble vraiment fort…, oh! Non…, une cuillère de bois…, elle vient de renverser la banane, sur laquelle nous nous trouvions, me propulsant à l’autre bout de la cité en quelques secondes.

Lidia referme le couvercle de son bac à lombricompostage, inconsciente qu’elle vient de réorganiser, une fois de plus, la structure urbaine d’une imposante métropole.

Elbereth

2009-03-15

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